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Kongo River-Kenya

Un mois difficile que ce mois de mars

 

Un mois difficile donc que ce mois de mars.

 

        Un mois difficile  que ce mois de mars. Je pensais pouvoir assumer complètement les conséquences de la greffe avec mon retour au Kenya. Tester un peu la mécanique en quelque sorte, sans trop me préoccuper que pendant ce temps mon monde intérieur commençait à flotter. Bien sûr ma situation physique  n’a fait que s’améliorer. Les conséquences de l’opération (chevilles et pieds enflés, fatigue, etc.) se sont dissipées en 15 jours. Ce qui me permit d’effectuer de nombreux travaux et concrétiser un certain nombre de projet (Câblage de la ferme et connexion au réseau électrique national, réparations au fond du puits, réaménagement des extérieurs de la ferme…) ainsi que parcourir des kilomètres à pieds dans le bush avec des températures avoisinant la les 50°, quand je n’étais pas à pagayer sur la rivière. Bon il ne faut pas trop s’écouter non plus sinon après cinq mois et une semaine d’une greffe totale, comme c’était mon cas au 1er Janvier 2015, on fait lacer ses chaussures par une aide à domicile ! Il a fallu donc que je me fasse un peu plus violence chaque jour mais là ça va j’ai encore des réserves… C’est tout de même une surprise pour moi. Même le traitement  est parfaitement toléré. Je ne me suis d’ailleurs pas résolu  d’effectuer une seule analyse de sang depuis mon départ de France. Les contraintes pratiques tant redoutées par les malades sont sommes toutes insignifiantes au regard de la maladie dont on vient d’échapper et de la mort prématurée sans aucun doute programmée. Ne pas marcher pieds nus, ajouter un demi bouchon d’eau de javel dans l’eau de la douche, ne pas boire l’eau du puits, me reposer un peu toutes les trois heures, ne pas m’exposer au soleil, voilà  les seuls points dont je ne déroge pas. Sinon je vis normalement, enfin comme un kenyan qui occupe une maison en terre et macuti, avec un salon en terre, une cuisine en terre, une salle de bain en terre, et des chambres en terre, qui partage avec ses hôtes les mêmes repas dans les mêmes conditions, qui fait tourner une ferme avec des bêtes et des cultures, qui supporte l’administration kenyane et qui soigne les pathologies de ses contemporains sans vergogne.

        Paradoxalement au fur et a mesure que mon corps se libérait du poids de la transplantation mon retour au Kenya m’entraînait progressivement dans une errance psychologique. Comme si, concomitamment, aisance et bien être enfin retrouvés après 12 ans de luttes m’entraînaient inexorablement dans un vide oppressant. J’ai déjà connu cette solitude intérieure par le passé. Quand j’ai cessé de m’alcooliser par exemple. Alors que mon monde d’alcoolique me rejetait comme un traître (Je crois en réalité que je les mettais face à eux même) et que le monde qui allait être dorénavant le mien me tournait encore le dos. Il existe deux silences terribles : celui qui précède le cataclysme et celui qui lui succède. Je venais après 12 années du même coup de terrasser le virus de l’hépatite C et d’être débarrassé d’un foie devenu bien encombrant. Au combat de douze années succédait fatalement j’aurais du m’en douter un vide incommensurable, parce que silence vide de tout sens. Tout mon moi était jusqu’ici habité par une idée unique : vaincre ce VHC, vestige d’un lourd passé. Et crois moi si tu veux mais ça occupe pas mal les longues, longues soirées d’hiver, et nécessite un contrôle absolu. Mon attitude, mes activités, mon hygiène de vie, mes rapports avec les autres, ma place dans la « société », ma vie intime, ma projection dans le futur, mes projets, mes rêves même étaient tous tournés autours de la même planète : La planète VHC. Forcément quand il s’est agit, il y a cinq ans, de répondre à une proposition de ma compagne de fonder une famille, j’ai reculé pour n’entraîner personne dans un avenir devenu court et incertain. Ceci faisait parti de mes interdits absolus. Elle est partie. Normal. Depuis 10 ans qu’ elle attendait sans doute. Ce fut là le plus grand sacrifice.

        Et maintenant tout est fini. Le corps médical a encore fait des prodiges, les chercheurs ont bien cherché et fini par trouver (Merci aussi à toutes ces souris de laboratoires qui se sont sacrifiées pour ma cause). Et puis une famille inconnue a décidé de prolonger la vie d’un être cher au travers la mienne. Un don précieux que j’ai en revanche parfaitement intégré avec respect, même si je regrette parfois de ne pouvoir dire merci. Simplement Merci.

        Alors maintenant ? Que faire des 25 années qui se profilent alors que je n’avais de munitions que jusqu’en octobre 2014 (environ). C’est que je m’étais fait un présent de quinquagénaire moi, pas un futur de septuagénaire ! J’avais fermé toutes les portes qui s’ouvraient sur « l’après maladie », preuve que j’avais un gros doute sur mes chances d’en sortir. Et puis cet heureux dénouement.

        Aussi la vie que je mène là, maintenant, est-elle vraiment conforme à ma nouvelle espérance de vie ? Il y a aujourd’hui quelques frustrations à effectuer des activités qu’hier encore je trouvais délicieuses. Tout ceci en lien direct bien sur avec un état de santé à nouveau excellent et des capacités intactes. Et pourtant que cette vie en Afrique m’est bénéfique! Je me sens tellement « en vie ». Tellement équilibré. Tellement plus sage. Tellement plus proche de notre terre et de ces hommes  qui l’habite.

Frustration : sentiment étrange d’effectuer une mission tandis qu’une autre vous attend ailleurs. Pas plus épanouissante, pas plus, pas moins intéressante. Une autre c’est tout. Plus en rapport sans doute avec votre vie initiale, que vous reprendriez bien là où tout s’est arrêté. Et pourtant comment renier ce récent passé au Kenya. Cette existence qui a tant participé à ce renouveau, cette renaissance peut-être même.

        Seulement voilà le corps médical s’occupe du corps. Pour me remettre en état physique l’attention est grande : Nombreuses visites en post greffe, recommandations appuyées sur les régimes alimentaires, sur les multiples précautions à prendre etc…Une approche un peu exagérée je trouve. Aurais-je plus confiance dans les docteurs qu’eux même dans leur propre travail ? Où ne savent ils pas qu’il y a des limites au principe de précaution ?  Voilà sans doute aussi la cause qui a précipité mon retour au Kenya : Eprouver in vivo les sensations et Toutes les possibilités d’un nouveau greffé, ceci dans un milieu bien plus hostile et incertain que l’Europe, où on lave le linge et la vaisselle avec l’eau de pluie qui dégringole du toit depuis deux semaine maintenant. Un peu tel un pilote qui pousse son bolide à fond durant un tour pour apprécier si la mécanique va tenir les 70 tours suivants. Je sais aujourd’hui que ça va le faire.

        Seulement voilà le corps médical ne s’occupe pas de l’âme, et ce n’est pas son boulot. Aussi ne fus-je pas averti de ce qui me tombe aujourd’hui sur la tête. La vie d’ascète et que je me suis faite a ceci de bon qu’elle vous libère. La liberté n’est pas de disposer, d’aller et venir, ou de dire tout et souvent n’importe quoi, c'est-à-dire ce qui nous passe par la tête. La totale liberté consiste à ne rien convoiter ni rien désirer de particulier. D’être détaché de toute envie démesurée, prétentieuse ou bien vaine, se libérer de toute ambition synonyme de course (course à l’argent, au consumérisme, au plaisir, aux besoins et aux loisirs même)  et ne pas dépendre de ses pulsions.

        Cependant depuis mon  retour au village je me retrouve une aspiration occidentale. Je regarde autour de moi différemment. Mes rêves font allusions à mon passé de musicien. J’observe les familles tout autour et je me dis : Pourquoi pas moi ? Oui ces 10 ans de vie Kenyane m’ont transformé en homme meilleur, plus sage et forcément heureux. Mais là maintenant j’ai une vrai aspiration à revenir parmi les miens pour partager et faire profiter de mon expérience. Et ceci au travers de n’importe quelle activité. Est-ce la peur  mais tout me retient. D’abord accepter d’espacer ma présence ici. Puis de renouer. Oui c’est cela rétablir des liens avec une autre réalité. Celle de la France. La peur d’échouer aussi sans doute. J’ai tellement décidé une bonne fois pour toute de ne plus jamais recevoir de coups ! Et puis revenir n’est il pas synonyme pour moi de me réinstaller en totalité et trouver l’endroit où tout reconstruire…

…………. Décidément un mois difficile que ce mois de mars.

 

Paris Charles de Gaule jeudi 02 avril, 06h45. Je pose le pied sur le sol français.

Emilie a eu la bonne idée de se marier ce mois de mars, week end de ses trente ans. Bien sûr j’en ai été informé à posteriori comme pour la naissance de sa fille.  Ce jour là comme tous les ans à la même date j’étais seul en pirogue sur la rivière à sillonner la mangrove et à penser elle. J’ai appris son union une semaine après. Même pas mal ! Bien sur un peu écorché : Je ne sais pas comment elle s’appelle maintenant. Son nom de famille je veux dire. Alors la gorge serrée mais même pas mal !

 

Quand la souffrance est ce qu'on connait le mieux, y renoncer est une épreuve.

Michela Marzano

Commentaires

  • Jannot corentin
    • 1. Jannot corentin Le 10/04/2015
    Salut martial!
    Pareil pour moi... Mais en Suisse.
    le plaisir de te revoir n'en sera pas moindre..

    Corentin
    • rajab-theureaud
      • rajab-theureaudLe 19/04/2015
      Heureux de tes nouvelles. Comment as tu eu l'adresse de mon site reste un mystère mais comme je te l'ai toujours proclamé quand on veut on peut. Tu n'es pas très explicite alors n'hésite pas à m'en dire plus. Je te lirais avec sans jugement et avec grand intérêt. Si tu veux qu'on renoue un contact Mon mail: rajab.kenya@gmail.com affectueusement
  • jannot
    • 2. jannot Le 10/04/2015
    Salut Martial,

    Si tu es de retour, tu peux passer me voir, n'hésite pas. Aujourd'hui je suis à Chalons en Champagne, dans la marne, marié et un petit garçon de 6 mois. Mon tel est le 0676951907.
    A plus

    Edouard

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